REVUE DE PRESSE
… Rien que le monde – 2015
« Je suis homme, né (…) » 2013
Une « leçon de ténèbres » pour notre temps.
Les ténèbres sont les nôtres, mais aussi celles de Maylis Bouffartigue, celles de Patrice Tépasso, Kaman Camara, Danielle Catala, les quatre acteurs de ce spectacle à la fois austère et vibrant.
Austère parce que Ronsard, avant Heidegger, nous avertit de notre condition: « Je suis homme, né pour mourir », ce que chaque naissance nous fait oublier !
Coloré et vibrant parce que la vie de notre monde, son passé, son présent et toutes les galaxies s’y précipitent et tournoient comme ce drapeau qui gicle avec un bruit de soie.
Les images et les silences de cet écran, ouvert et fermé par un rideau de scène, les apparitions successives des quatre acteurs disant leur nom et leur vérité nue, l’enchevêtrement final des images d’aéroport où figure l’un des acteurs (Danielle Catala), tout nous avertit que c’est à nous que s’adresse Ronsard.
Danielle Catala ne prend pas l’avion, à quoi bon ?
L’avion s’en va parcourir « les espaces infinis » mais nous restons sur le balcon de nos maisons, regardant l’étendue de la ville et les multiplicités de toutes ces choses qui existent ensemble, passants, rencontres, magasins, bâtiments, et le soir tombe, il y a de tels couchers de soleils sur cette planète…
Nous nous saluons, comme l’ont fait avant nous ces grandes effigies de la Mésopotamie et de la Perse, nous nous saluons devant le bleu du ciel…
En fin de spectacle, sur un fil de lumière, Danielle Catala revient nous rappeler Ronsard et sa leçon cruelle, mais elle nous donne aussi son sourire et la vérité de sa présence, sans fard et sans manteau…
Un spectacle fort et dense, avec des lumières de Xavier Lefrançois, des musiques de Christophe Ruetsch, et des acteurs qui fabriquent des images de poésie avec le même soin que si c’était de l’artisanat …
Françoise Valon
Lettres de Marie-Angèle Vaurs
Ce petit mot Céline pour te redire que j’ai beaucoup apprécié ton spectacle.
Parce qu’il donne à penser sans asséner une vérité. Il ouvre un champ de réflexion. Je l’ai ressenti comme une forme de méditation sur ce concept de « l’être » – de l’être là – d’être au monde au fond …
Il y a une adresse au spectateur – un appel – à ouvrir notre œil intérieur, à écouter en faisant taire les bruits parasites pour aller vers l’essentiel, l’essence – quelque chose d’ infiniment petit et en même temps d’énorme – tellement énorme que nous ne le voyons plus – que nous n’y prêtons plus attention – à savoir que nous sommes tous détenteurs de la même expérience unique d’être « homme né … »
Et puis il y a la qualité formelle proprement dite de ton travail. Une grande rigueur et une grande beauté plastique dans une simplicité extrême. Le spectacle est tenu d’une main ferme de bout en bout. Tout est en place, bien posé.
L ‘univers musical est superbe et nous introduit dans le mystère. Les vidéos ouvrent sur le monde et jouent en contraste avec le calme de la scène.
Je pense que pour bien apprécier ce spectacle il faudrait le voir plusieurs fois … pour les textes surtout qu’on a envie de ré entendre. D’ailleurs j’aimerais bien pouvoir les lire …
En tout cas merci pour ce beau travail.
je t’embrasse,
Marie-Angèle
Chère Céline, j’ai lu » Je suis homme, né (…) » et je suis sous le charme de ton écriture.
Une écriture silencieuse. C’est le mot qui me vient à l’esprit , bizarrement. Une écriture du silence, de l’intériorité.
Une pensée déroule son fil, tranquillement; une pensée en mouvement qui découvre en même temps qu’elle dit.
Il me semble que c’est ce que tu as tenté de faire avec les comédiens. Qu’ils soient entièrement dans le dire. Dans la découverte de se dire. Pour que nous, spectateurs, découvrions aussi en même temps.
À la fois quelque chose de très simple et de très complexe.
Je perçois une mise à nue ; on enlève les oripeaux, les masques, on va à l’essentiel, à l’essence. On touche le cœur de l’être.
Finalement une sorte d’effacement du Je – dans ce Je répété – le contraire d’un positionnement narcissique ( il me semble que quelqu’un a parlé de narcissisme …);
C’est un texte fort qui frappe à notre porte doucement et nous invite à l’ouvrir justement notre porte pour écouter – oreille dressée.
Tu parles de liberté, d’humanité, de civilisation, d’histoire avec petit h et grand H – de mort et de vie. – du nom. C’est ÉNORME. Et sans doute faudrait-il creuser chaque fois les termes que tu emploies, les scruter à la loupe pour voir vraiment ce qu’ils ont dans le ventre …
Mais tu ne t’attardes pas. Ils résonnent avec les propositions visuelles, avec la musique, avec la manière dont les acteurs se positionnent sur le plateau, avec tout le travail scénique que tu proposes.
Et quelque chose passe, de léger et de lourd, d’impalpable et de très matériel. On ne comprend pas tout, mais on est sous le charme d’une intelligence en mouvement. D’une pensée encore une fois qui cherche.
Une pensée portée par des mots mais aussi par tout un langage théâtral très maîtrisé, cadré, sans jamais être pesant. Rien n’est asséné. On sort du spectacle avec une impression de légèreté.
Comme en état de grâce.
C’est ainsi que j’ai reçu ton spectacle.
Merci de tenter de nous rendre un peu plus intelligent!
Je t’embrasse
Marie-Angèle
Un poème de Bernard Noël que je t’envoie en correspondance … ( pris dans » La chute des temps »)
Le temps tousse
est-ce que maintenant
est bien ici
le présent est comme l’écho
on écoute et puis
ai-je bien dit cela
nous sommes une histoire de plus
quelqu’un la raconte
les autres l’oublient
le commerce d’affirmation
est fermé
d’ailleurs on a perdu la tête
nous sommes le matin
la mort fabrique
du soir
Le clou dans la planche
L’ensemble du spectacle, bercé par une création sonore moléculaire, spatiale et hypnotique, déroute et obsède.
Cet objet spectaculaire intrigue, tant ces références anéanties sous leur amoncellement s’annulent et révoquent ainsi tout parti pris moral, éthique, religieux ou philosophique. « Impossible is Nothing » s’affiche sur l’écran, alors, a contrario le spectateur s’interroge : le TOUT est-il possible ?
La mise en scène des idées est ambitieuse. Et si elle se détourne des autoroutes du divertissement pour emprunter l’obscurité de la chambre noire, c’est que son ombre est bénéfique au « tirage » de celles-ci. On ne peut qu’applaudir à ce risque que prend Celine Astrié, car il n’est pas des moindres : celui de perdre son public dont le regard fixe obstinément la gueule noire et insatiable de l’espace-plateau, sculpté par de rares lueurs.
On en sort certes désorienté, brûlé, et hagard. Mais avec la sensation secrète d’avoir été, un instant, plongé avec délectation dans l’antre du monde.
Selma Jacques / le clou dans la planche